FONTARABIE
ET SON HISTOIRE
Fontarabie est une petite ville située à l’embouchure de la Bidassoa, dans un site particulièrement beau et tranquille. Sa situation stratégique, à la frontière du royaume de France voisin, lui a fait jouer un rôle très important dans les guerres au cours des siècles.
Construite sur un petit promontoire surplombant la baie, à un emplacement très intéressant pour sa défense, la ville était considérée comme la clé du royaume : la place qui devait être conquise par quiconque voulait entrer en Castille.
Son centre urbain conserve de nombreux vestiges de son passé héroïque, comme nous aurons l’occasion de le voir ; et il s’agit de l’unique forteresse bien conservée du Pays Basque.


Alphonse VIII de Castille
FONTARABIE NAVARRAISE
Il fut un temps où Fontarabie, comme Guipuscoa, appartenait au royaume de Navarre. Les rois navarrais furent les premiers à comprendre l’importance stratégique de ce promontoire sur la baie, situé dans une région à la souveraineté indéfinie, à la confluence de plusieurs royaumes.
Ils érigèrent une forteresse dans sa partie la plus haute, probablement dès le Xe siècle. Deux siècles plus tard, de puissants ennemis se dressèrent contre l’ancien royaume, regardant avec convoitise ses possessions côtières. Si la Navarre perdait la région de Guipuscoa, son unique accès à la mer, elle deviendrait un royaume intérieur, enclavé entre la Castille et l’Aragon. Tôt ou tard, cela signifierait sa mort.
Pour éviter cela, Sancho le Sage décida de repeupler et de fortifier la côte de Guipuscoa par la fondation de bourgs. En 1180, il fonda le bourg de Saint-Sébastien et peu après ceux de Fontarabie et de Getaria.
LES BOURGS
Les bourgs étaient entourés de murailles ; ils étaient régis par les lois et privilèges que le monarque leur octroyait. Dans un monde obscure et sans loi, dominé par de puissants seigneurs féodaux, la sécurité qu’offraient les bourgs était la meilleure réclame dont disposaient les rois pour attirer la population vers des points stratégiques de leur territoire. Petit à petit, un dense réseau de bourgs se créa, imposant la loi et l’ordre, apportant sécurité sur les chemins et aux terres frontalières.
Pour leur part, Fontarabie et Saint-Sébastien étaient des bourgs spécialement fortifiés car, outre leurs murailles, ils possédaient un château.
LE PASSAGE EN CASTILLE
Toutes les précautions de Sancho le Sage furent, néanmoins, insuffisantes. En 1200, la Navarre allait perdre pour toujours son accès sur la mer, lorsque le roi de Castille, Alphonse VIII, décida de conquérir Alava et Guipuscoa. Ces territoires lui empêchaient de relier son royaume de Castille à la région d’Aquitaine, sur la côte française, qu’il réclamait en héritage. Quelques années après sa fondation comme bourg, Fontarabie fit ainsi partie de la Castille.
La réclamation de Fontarabie comme son port naturel fut une constante dans l’histoire de la Navarre et, malgré tout, des liens économiques et commerciaux spéciaux se maintinrent entre les deux. Le bourg de Fontarabie demanda lui-même à plusieurs reprises sa réincorporation à la Navarre, qui eut lieu d’une manière fugace pendant quelques années au XIXe siècle.
FONTARABIE AU MOMENT DE SA FONDATION
Le nouveau maître de Guipuscoa, Alphonse VIII de Castille, s’empressa de confirmer les privilèges des bourgs récemment acquis. Le fuero de Fontarabie fut confirmé en 1203, année généralement prise comme sa date de fondation, bien qu’il semble que le bourg fut fondé quelques années auparavant par la Navarre.
Les principales activités du bourg étaient la pêche et le commerce. Son noyau de population le plus nombreux et le plus influant était formé par des commerçants et des marins gascons, provenant de la région de Bayonne, sur la côte française, comme c’était le cas pour les bourgs maritimes de Saint-Sébastien et de Getaria. Les Gascons, qui parlaient une langue qui leur était propre, évoluaient bien dans les milieux d’affaires européens et établissaient, néanmoins, peu de rapports avec les habitants autochtones. Ce n’est que plus d’un siècle plus tard qu’ils commencèrent à s’intégrer et à s’unir à eux.
Peu après sa fondation, on trouvait à Fontarabie tous les métiers traditionnels du Moyen Âge, organisés en corporations : gabariers, tuiliers, charpentiers de rivière, fabricants de poignards, fabricants de capes, cordonniers, aubergistes, meuniers, forgerons, charbonniers, etc.
La vie de Fontarabie ne devait pas être très différente de celle de tout autre bourg côtier. Sa situation frontalière ne lui occasionnait pas trop de problèmes, car les terres françaises au nord du fleuve Bidassoa, le duché d’Aquitaine, étaient depuis des siècles aux mains du roi d’Angleterre.
XVe SIÈCLE : LE GRAND PROTAGONISME COMMENCE
Soudain, le bourg changea, lorsque la France récupéra ses possessions en 1453, à la fin de la guerre de Cents ans. Avec les nouveau voisins, la tension commença à monter à la frontière. Du jour au lendemain, Fontarabie devint une place d’une importance vitale, de plus en plus au cœur de la tempête.
Dès lors, elle vécut dans un état permanent d’alerte. Tout évènement pouvait altérer soudainement la normalité du bourg, notamment lorsque le monarque castillan montrait des signes de faiblesse, ce qui stimulait l’ambition de son puissant voisin. C’est ce qui se passa quand Henri IV de Castille se disputait le trône avec son frère, et l’invasion de la France semblait imminente.
La crise suivante eut lieu peu de temps après. Henri IV décéda en 1474, sans descendance ; sa sœur, Isabelle la Catholique, lui succéda sur le trône. Elle livra une guerre de Succession contre l’autre prétendante au trône, Jeanne la Beltraneja, mariée au roi du Portugal. Les habitants de Biscaye et de Guipuscoa soutinrent Isabelle la Catholique et son projet d’union avec le royaume d’Aragon, alors que la France soutint Jeanne la Beltraneja, craignant un voisin fort.

Isabelle la Catholique

Fontarabie en 1476, avant les interventions des Rois Catholiques
SIÈGE DE 1476
Voici le contexte du premier siège important du bourg, survenu en 1476. Le chroniqueur des Rois Catholiques le raconte avec détail :
Le roi de France se rapprocha de la frontière avec 40 000 hommes pour déclarer la guerre à la province de Guipuscoa et assiéger le bourg de Fontarabie. Le roi comprit que s’il prenait ce bourg, étant le premier et le plus fort de toute la province, très facilement il prendrait les autres.
Le chroniqueur fait ensuite une intéressante description des défenses naturelles du bourg :
Bien que le bourg soit situé sur un promontoire et que ses murs soient hauts, la mer en entoure une partie lors des marées hautes et monte jusqu’à la moitié des murs. La partie restant à terre comporte de nombreuses tours ; et la disposition du lieu le rend plus fort, car il s’agit d’un terrain accidenté et montagneux où les chevaux ou d’autres animaux peuvent à peine marcher.
Les Français entrèrent à Guipuscoa causant de grandes destructions et brûlèrent les bourgs environnants. Le chroniqueur raconte comment Fontarabie se prépara au siège et comment eut lieu la première tentative d’assaut au bourg :
Étant donné la puissance des Français, les habitants de la province envoyèrent demander de l’aide à la reine qui se trouvait à Burgos. La reine envoya Juan de Gamboa pour qu’il entre à Fontarabie et en prenne la capitainerie et ordonna aux habitants des bourgs et de toutes les vallées qu’ils aillent résister contre les Français qui étaient entrés faire la guerre dans ses royaumes.
Juan de Gamboa entra à Fontarabie avec 1 000 hommes de la région et ils réalisèrent de grandes tranchées, bastions, douves et d’autres défenses.
Les Français s’installèrent à une distance d’environ 3 000 pas ; et comme ils ne pouvaient pas atteindre le bourg pour le combattre du fait des nombreux coups de feu, ils convinrent de creuser une tranchée ouverte jusqu’au bourg.
Les villageois décidèrent alors de le défendre par en bas, grâce aux bastions et aux abris qu’ils avaient construits. Pour cela, ils rasèrent le haut des tours et des créneaux, de sorte que si l’artillerie ennemie frappait les murs et les faisait s’écrouler, les pierres qui tombaient ne pourraient point nuire à ceux qui défendaient le village en contrebas.
Il s’agit ici d’un détail intéressant : nous voyons comment les défenses de l’époque médiévale, basées sur la grande hauteur des murs, commençaient à devenir inappropriées face à la puissance de l’artillerie moderne. Les techniques de fortification changèrent complètement en quelques années et les murailles devenaient plus basses et plus résistantes.
Juan de Gamboa réalisa un grand travail en préparant les défenses du bourg. Les Français, voyant le peu de dommage qu’ils provoquaient, se démoralisèrent rapidement et se retirèrent au bout de neuf jours à Bayonne, où ils furent reçus avec grande indignation. Le chroniqueur raconte de la même façon la deuxième attaque française :
Le roi de France, sachant que ses soldats ne réussirent pas à obtenir le fruit du siège qu’ils avaient fait, envoya plus de capitaines et plus de gens, ordonnant que le siège soit répété avec une extrême rapidité et qu’il ne soit en aucun cas levé avant d’avoir pris effet.
Entre-temps, les habitants de Fontarabie avaient renforcé le bourg par de nouvelles défenses et de nouveaux bastions, de telle sorte qu’ils n’avaient plus aucune crainte à l’égard des Français. Et s’ils se trouvaient dans une situation difficile, tous les habitants de la région étaient avertis par ordre de la reine de leur venir en aide.
Les deux camps effectuaient de grandes frappes à la poudre à canon, et finirent par se battre dans les tranchées si proches les uns des autres qu’ils se lançaient des pierres à la main. C’est ainsi que les Français passèrent deux mois dans ce siège, au cours desquels il y eut de nombreux jours de grandes escarmouches et de grands combats, où beaucoup moururent d’un côté comme de l’autre. Mais les Français ne pouvaient pas atteindre le mur en raison des grandes défenses que le bourg avait à l’extérieur, et des nombreuses personnes qui le défendaient à l’intérieur.
IMPORTANCE DE LA PLACE ET DEMANDE DE LA REINE
Après l’échec du siège, l’importance de cette place forte et la diligence qu’il fallait mettre dans sa défense ont été démontrées. Cela a été exprimé dans un mémorial au roi de Navarre : « car si ce bourg est perdu, tout Guipuscoa est perdue, et l’entrée de la Castille et de la Navarre est laissée libre. »
De cette époque, nous avons des informations sur les veilles et les gardes. Tous les habitants du bourg avaient la grave obligation de se relayer pour effectuer la garde, la veille et la ronde des fortifications afin d’éviter d’être surpris.
Vingt ans après ce siège, les relations avec la France se détériorèrent et une attaque imminente était crainte. Fontarabie devint à nouveau le centre d’intérêt des rois. La correspondance d’Isabelle la Catholique avec le nouveau gouverneur du château devint continue. Dès le début elle lui recommanda que « cette forteresse de Fontarabie soit la principale de confiance et garde de nos royaumes. »
En 1496, elle lui ordonna de construire de nouvelles défenses dans les murailles et le château, travaux qui furent réalisés et dirigés par les meilleurs ingénieurs.
La demande de la reine sur tout ce qui se passait à Fontarabie était continue : elle se chargea de son approvisionnement, ordonnant de faire venir des troupes de maintien de Burgos et d’Andalousie, et se préoccupa des désaccords entre les soldats du château. Une grave émeute venait justement de se produire, du fait de la mort qu’avait causée un tel Montoya ; et le moral des soldats était très altéré. La reine écrivit au gouverneur :
« La mauvaise volonté que vous dites que ceux de cette terre ont envers les gens de guerre provient souvent des mauvais traitements que les gens de guerre leur infligent. Vous devez veiller à ce qu’aucun ne soit maltraité. Vous devez faire le nécessaire avec diligence pour supprimer les occasions et ordonner les choses entre eux, afin que tous puissent vivre en paix, et que celui qui fait ce qu’il ne doit pas faire soit puni », car retarder la justice entraîne de graves inconvénients, et « ce faisant, tout est garanti et apaisé. »
Tout comme à Saint-Sébastien, l’autre place forte de Guipuscoa, la présence d’un important contingent de soldats dans la ville fut une permanente préoccupation pour la ville. Les soldats, des étrangers non soumis à l’autorité municipale, agissaient à leur guise, volaient et provoquaient de multiples torts aux voisins. Toute la vie sociale était affectée par leur présence et les plaintes présentées par le conseil à la Couronne pour cette raison étaient innombrables.
JEANNE LA FOLLE ET AUTRES VISITEURS ILLUSTRES
La crise avec la France se résolut cette fois-ci sans encombre et la trêve obtenue entre les deux monarchies rendit possible un des faits importants qui marquèrent la petite histoire de la ville : la visite de Philippe le Beau et de Jeanne la Folle.
Les époux arrivèrent à Fontarabie après avoir traversé toute la France, en destination de Tolède où ils seraient reconnus par les Cortes (représentation parlementaire) en tant que légitimes héritiers de la Couronne.
Leur séjour dans le bourg fut retardé plusieurs jours, donnant lieu à plusieurs belles anecdotes dont nous aurons l’occasion de commenter les conséquences au cours de notre itinéraire.
Il s’agit d’une autre constante dans l’histoire de Fontarabie : le grand nombre de personnages illustres qui l’ont visité et l’important rôle diplomatique du bourg frontalier. De nombreuses maisons du centre historique ont été marquées par ces événements.

Jeanne la Folle

Charles Quint

François Ier de France
CHARLES QUINT
Si Fontarabie était déjà une place décisive pour les Rois Catholiques, le bourg allait revêtir une plus grande importance durant le royaume de leur petit-fils, l’empereur Charles Quint. Ce bourg deviendra pour lui une place forte absolument primordiale. Les fortifications que vous allez voir lors de votre visite sont, pour l’essentiel, celles qu’il fit ériger.
Chaque fois que le pouvoir des royaumes hispaniques augmentait, la tension avec la France connaissait un nouveau revirement. Et celui qui occupait désormais son trône n’était autre que l’empereur d’Allemagne qui, avec ses possessions en Italie, en Autriche et aux Pays-Bas, entourait la France de tout côté.
François Ier, le monarque français, ne laissait passer aucune occasion pour affaiblir le pouvoir de son grand ennemi, bien que pour cela il dut s’allier aux Turcs. Durant 30 ans, l’Europe assista à un terrible duel entre les deux hommes les plus puissants du continent.
Le Français gagna la première bataille. En pleine révolte des comuneros en Castille, à un moment très délicat pour le royaume, l’empereur qui n’était alors qu’un adolescent, se trouvait hors de la péninsule. François Ier ne tarda pas à s’entendre avec le roi de Navarre exilé en France depuis des années, qui essayait de récupérer son trône, arraché une décennie auparavant par Fernand le Catholique.
Sans aucune résistance à peine, les Français et les Navarrais entrèrent à Pampelune et prirent possession du vieux royaume. Puis, les troupes impériales reprirent la ville avec la même facilité. Persévérants, les Franco-Navarrais contre-attaquèrent à la frontière, assiégeant Fontarabie jusqu’à ce que le bourg tombe le 18 octobre 1521. Cette fois, la conquête serait durable. Trois mille soldats, français et navarrais, s’imposèrent sur la place, faisant ondoyer le drapeau rouge sur le château, au nom du roi de Navarre.
Fontarabie resta en leur possession pendant plus de deux ans. L’affront fut ressenti très vivement sur toute la péninsule, car toute l’Europe savait que l’empereur avait perdu Fontarabie, le premier bastion de son royaume.
La nuit, Charles Quint restait éveillé, ne pensant qu’à récupérer ce bourg. Il dépensa une fortune pour payer des mercenaires allemands, les fameux lansquenets, qui, durant des mois assiégèrent le bourg. Et, les quatre derniers mois, le bourg de Fontarabie fut durement bombardé ; ses murailles et ses maisons n’étaient plus que ruines.
Juste après avoir récupéré la place, en 1524, l’empereur proposa sa fortification avec la plus grande diligence. S’il souhaitait avoir les mains libres pour agir sur d’autres points en Europe, il devait bien fermer la porte de son royaume.
Il suivit de très près l’avancement des travaux pendant des décennies ; et en 1539, il vint même en personne pour tout inspecter dans les moindres détails. Peu importait le coût de l’édification des murs et des bastions, ce serait toujours moins coûteux que de mobiliser des troupes professionnelles au cas où la place serait à nouveau perdue.
La deuxième bataille contre les Français fut remportée par l’empereur, grâce à un incroyable coup de chance. Et, à cette occasion, Fontarabie joua également un petit rôle. La bataille eut lieu à Pavie, dans le nord de l’Italie. Lorsque la bataille semblait pencher du côté des Français, un fait insolite se produisit : dans le fracas de la bataille, trois soldats réussirent à faire prisonnier le roi de France lui-même.
François Ier fut emmené à Madrid et retenu dans un château. Au bout d’une année, l’irrégulière situation s’était déjà trop prolongée et, il fut finalement décidé de l’échanger contre ses deux fils aînés, de sept et huit ans. L’échange eut lieu à Fontarabie en 1526. Le roi français faisait désormais partie de la liste des visiteurs illustres du bourg, où il fut reçu avec une grande déférence par le gouverneur et les autorités.
L’échange se réalisa le lendemain, au milieu du fleuve Bidassoa qui sépare les deux royaumes. Les deux cortèges partirent de leur rive respective et ramèrent au même rythme pour arriver en même temps à la barque neutre qui attendait au centre. Là, le roi étreignit ses enfants, puis ils se séparèrent à nouveau, échangeant leurs destins.
Le roi était si anxieux de retrouver sa liberté qu’en arrivant sur la rive française, il en tomba dans l’eau. Mais cela l’importait peu ! Il monta sur son cheval et, euphorique, se mit à crier, alors qu’il chevauchait vers le nord : Je suis le roi ! Je suis le roi !
De leur côté, les princes furent reçus à Fontarabie avec la même déférence que leur père, puis ils partirent pour Ségovie en tant que prisonniers. Quatre ans plus tard, presque adolescents, ils retournèrent à Fontarabie pour un nouvel échange, cette fois pour plusieurs grands coffres remplis d’or, qui se réalisa selon la même procédure.
Outre les périodes de guerre ouverte, les habitants du bourg vivaient fréquemment les moments de tension avant une invasion imminente. Le danger pouvait venir d’une supercherie. Parfois une attaque par la Bidassoa était feinte, pour cacher la vraie intention de charger en Catalogne, en Italie ou à un tout autre point de l’échiquier européen.
RÉGIME DE PRIVILÈGE
Les continuelles guerres contre la France durèrent un siècle et demi, de la fin du XVe siècle jusqu’à la moitié du XVIIe, ce que dura l’hégémonie espagnole sur le continent.
Au cours de toute cette période, des efforts de guerre impressionnants étaient exigés à Fontarabie. La guerre apportait maintes et maintes fois la dévastation au bourg et de grands sacrifices en vies humaines. Ce fait fut ainsi exposé au roi dans un mémorial : « par nos péchés ou par la disposition du lieu frontalier, nous sommes sujets aux dangers de la guerre et nous avons connu une grande pauvreté, une grande misère et une grande destruction, ainsi, par la mort des meilleurs hommes du bourg comme par la destruction de nos domaines et navires (…). En aucun autre lieu a été faite une destruction si totale et si générale comme dans ce bourg, de telle manière que seul peut le ressentir celui qui l’a vu avant et le voit maintenant. »
En compensation, tous les monarques lui concédèrent des avantages et des exemptions fiscales, jusqu’à configurer un authentique régime de privilèges, qui souleva la jalousie de ses voisins.
Les bateaux de Fontarabie jouissaient d’une préférence dans tous les ports. Même en période de pénurie d’aliments, les ports de la mer Cantabrique et de Galice, d’Andalousie et des Canaries, devaient fournir ce bourg de marchandises pour son approvisionnement, au détriment de leurs propres nécessités. Cela provoqua des protestations des communes touchées, mais la monarchie confirma chaque fois ces privilèges. Que la place de Fontarabie soit bien approvisionnée représentait une importante question d’état en ces temps.
PHILIPPE II ET LES DERNIERS HABSBOURG D’ESPAGNE
Philippe II succéda à Charles Quint, son père, dans l’empire où d’après ce qui était dit, le soleil ne se couchait jamais. Les fronts maritimes ouverts sur des domaines si vastes étaient innombrables. Le roi devait avoir recours à l’expérience des bourgs côtiers et notamment de la côte basque, dont les marins étaient réputés dans le monde entier. En 1574, Fontarabie dut contribuer à la flotte royale en apportant des navires et des marins. Les levées se répétèrent en 1575, 1577, 1582, 1586 et en 1588 au cours du désastre de l’Invincible Armada. Épuisé par tant d’efforts, le bourg finit par reconnaître qu’il n’en pouvait plus. En 1604, il fut exempté de l’embargo de navires et du recrutement de marins pour la guerre.
Tout le royaume commençait à donner des signes d’épuisement. Depuis le début du XVIIe siècle, les signes de décadence étaient de plus en plus préoccupants. Aux grandes figures de Charles Quint et de Philippe II leur succédèrent les derniers Hasbourg d’Espagne, contrôlés par leurs favoris. La péninsule se dépeuplait. Les caisses royales étaient vides et les fronts à surveiller étaient excessifs.
Pire, le comte-duc d’Olivares, favori de Philippe IV, embarqua l’Espagne dans une guerre désastreuse, appelée la « Guerre de Trente Ans ». La nation ne tenait qu’à un fil, mais tout semblait peu pour défendre la cause catholique contre l’avancée protestante.
Le tout-puissant cardinal Richelieu, Premier ministre de France, se moquait de l’idéalisme suicidaire de son voisin chevaleresque et faible. Il savait bien que ce n’était pas seulement la foi qui était en jeu dans cette guerre, mais aussi un nouvel équilibre politique en Europe, et il était décidé à en finir pour toujours avec l’hégémonie espagnole. Le pragmatique cardinal ne douta pas à s’aligner sur la faction protestante, pourvu qu’il porte le coup de grâce à l’Espagne, ce qui fut interprété comme une très grande trahison.
LE SIÈGE DE 1638
Dans ce contexte eut lieu le fait d’armes le plus célèbre et le plus mémorable de l’histoire du bourg : le siège de 1638, un évènement qui prit des proportions mythiques et qui est remémoré tous les ans lors des fête patronales de Fontarabie. Laissons la parole au chroniqueur :
Le 1er juillet 1638, alors que Fontarabie passait totalement inaperçu, une armée française de 18 000 hommes, sous le commandement du prince de Condé l’encercla, après avoir pris le contrôle d’Irun, Oiartzun, Lezo, Errenteria et Pasaia.
Il y avait alors 700 hommes armés dans le bourg, dont des soldats du château et des paysans, un nombre insuffisant pour sa défense. La province fit venir 77 habitants des bourgs voisins, et quelques jours plus tard, profitant de la marée haute, 320 autres réussirent à entrer. Au total, environ 1 100 défenseurs devaient faire face à une armée beaucoup plus importante, dont l’artillerie était abondante.
Avant que ne se resserra l’étau, des femmes vaillantes parvinrent en cachette au sanctuaire de Guadalupe dans la montagne et revinrent avec la statue de la Vierge à la paroisse du bourg. Ce dernier lui fit la promesse que s’il était victorieux, il la célébrerait toujours à cette date.
Fin juillet, vers le premier mois du siège, une lettre de l’amiral de Castille fut lue aux assiégés, les informant qu’une grande armée était en train d’être rassemblée et viendrait les défendre. Les habitants de la ville répondirent qu’ils devaient se hâter, car ils manquaient de poudre, de munitions et de vivres, et ne savaient pas combien de temps ils pourraient encore résister. Une lettre du roi Philippe IV leur parvint également, les assurant qu’il était fier de leur courage, et leur promettait de perpétuer leur mémoire et de les dédommager.
Les semaines passèrent et l’aide n’arrivait pas. Le 15 août, 46e jour de siège et fête de l’Assomption de la Vierge, les habitants se réunirent dans l’église afin de multiplier les prières à leur patronne. Comme rien ne semblait changer, au bout de quelques jours, ils sortirent la statue en procession pour qu’elle ait de la compassion en voyant les ruines du bourg.
Le 31 août, les Français tentèrent l’assaut, en utilisant des échelles que les défenseurs repoussèrent en leur jetant de l’huile brûlante. En septembre, la situation devint insoutenable. Les murs étaient tombés et l’ennemi franchit le fossé, les défenseurs étaient peu nombreux et sans défenses du fait du manque de plomb.
Les Français leur proposèrent la reddition. Le gouverneur fit taire les voix qui souhaitaient l’accepter : « le premier que je découvre parlant de nous rendre, je devrai moi-même le coudre à coups de couteau », leur dit-il. La réponse officielle fut donnée par le gouverneur de la place leur disant de tenter l’assaut, que eux ne nécessitaient aucune aide de l’extérieur et que Fontarabie en soi avait suffisamment de quoi se défendre.
De nouveaux assauts se produisirent. Comme il n’y avait pas de bras suffisants pour combler les brèches, une bande de jeunes garçons, armés de fusils et de mousquets, défendit l’un des murs de la forteresse, debout sur des pierres ou des cadavres.
Enfin, le 7 septembre, le 69e jour du siège, l’armée de secours arriva sous le commandement de l’amiral de Castille. Les Français abandonnèrent leurs positions et beaucoup d’entre eux furent abattus et se noyèrent en fuyant.
L’amiral de Castille, dans une lettre à sa femme, décrivit la bataille en utilisant ces termes simples, qui sont devenus célèbres : « Mon amie, comme vous ne connaissez point les choses de la guerre, je vous dirai que le camp ennemi se divisa en quatre parties : l’une fuit, nous en tuâmes une autre, nous en arrêtâmes encore une autre et une dernière se noya. Restez avec Dieu ; moi, je vais dîner à Fontarabie. »
Le lendemain, l’amiral observa la ville en ruines. 16 000 boulets de canon y tombèrent. Aucune maison n’était restée intacte et de nombreuses étaient détruites. Les malades et blessés étaient étendus dans les recoins et les vestibules. Leurs visages émaciés composaient l’estampe de l’ampleur réelle de la tragédie.
Sur les 1 100 hommes d’armes, seuls 400 survécurent. Le manque de munition devint pressant à la fin du siège : tout le fer et tout le plomb du bourg avaient été consommés et c’est pourquoi tout l’étain qu’il y avait dans les maisons fut employé, et même l’argent fut utilisé pour tirer.
La nouvelle de la victoire fut célébrée par de grandes fêtes dans tout le royaume. Des pièces de théâtre, des romans et des vers sur l’évènement furent écrits. L’une d’elles, composées par Calderón de la Barca lui-même, parlait avec ironie de la raclée qu’ils avaient flanquée aux Français. La défense de Fontarabie était comparée à celles de Sagonte et de Numance, afin de construire un nouveau mythe dont la monarchie décadente en ressentait la nécessité urgente.
Le roi garantit de grandes récompenses. Son favori, le comte-duc, leur promit « plus de faveurs qu’ils ne pouvaient imaginer ». Mais il ne s’agissait que d’un message rhétorique, car la Couronne était en faillite… Un an plus tard, les brèches étaient toujours ouvertes et la ville en ruines. La seule chose qui dépendait de lui était l’octroi de titres. Pour sa défense héroïque, Fontarabie reçut le titre de « ville » ; la « très noble, très loyale et très courageuse » ville de Fontarabie.
L’année suivante, lors de l’anniversaire de la libération, le gouverneur rappela le vœu réalisé par le bourg ; et tous les habitants montèrent en une procession solennelle au sanctuaire de Guadalupe, le 8 septembre 1639. Depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, elle a été célébrée presque toutes les années sauf rares exceptions.

Philippe II

Siège de Fontarabie de 1638

Siège de Fontarabie de 1638

Gravure de la signature du Traité des Pyrénées

L’île des Faisans ou l’île de la Conférence

Rencontre entre Louis XIV de France et Philippe IV en 1660
PAIX AVEC LA FRANCE
Vingt ans après, en 1659, Fontarabie se retrouva au centre de l’attention du continent. Après un siècle et demi de guerres continues, l’Espagne et la France allaient signer ici l’historique Paix des Pyrénées, appelée ainsi, car cette cordillère fut fixée comme ligne de division entre les deux royaumes. Ce grand évènement marqua l’apogée de Fontarabie en tant que place diplomatique.
Les négociations se déroulèrent sur un îlot au milieu du lit de la Bidassoa, sur l’île des Faisans ou l’île de la Conférence, à la souveraineté partagée. Les habitants de Fontarabie s’y déplacèrent dans tout type d’embarcations afin de contempler les impressionnants cortèges des grands seigneurs, avec leurs casaques brodées, leurs carrosses et leurs perruques poudrées.
Vingt-quatre conférences furent nécessaires pour limer tous les points de désaccord. Après trois mois d’interminables réunions, la paix fut signée et un solennel Te Deum fut chanté à l’église de Fontarabie. L’année suivante, en 1660, l’accord fut scellé par le mariage entre Louis XIV, roi de France, dit le roi Soleil, et Marie-Thérèse d’Autriche, fille aînée de Philippe IV, roi d’Espagne. L’union eut lieu le 6 juin à Fontarabie lors d’une étrange cérémonie.
Une grande multitude de personnalités de la cour, chevaliers, domestiques, dames aux robes extravagantes de style menines, emplissaient les étroites rues de la ville. Des notables des territoires proches et du royaume de France arrivèrent. Il manquait juste un détail, mais ô combien important ! : le futur marié. Le mariage eut lieu « par procuration ». Louis XIV attendait à Saint-Jean-de-Luz, où quelques jours plus tard l’engagement devait être ratifié par une nouvelle cérémonie. Tout cela était très typique du goût baroque, avec un fort penchant pour ce qui était alambiqué, sophistiqué et complexe.
Le lendemain, Philippe IV allait s’entretenir avec sa sœur, la reine-mère de France, qu’il ne voyait pas depuis 25 ans. Il embarqua à Fontarabie sur une splendide gondole, accompagné de sa fille, et se dirigea vers l’île des Faisans où la rencontre devait avoir lieu.
Entretemps, Louis XIV, avec la fougue de ses 20 ans, brûlait de désir de connaître son épouse. Ni une ni deux, il monta sur son cheval à Saint-Jean-de-Luz, chevaucha 18 kilomètres y se présenta sur l’île, où il put la contempler subrepticement, caché derrière quelqu’un. En le découvrant, elle se mit à rougir.
L’entretien terminé, lorsque le cortège retourna par le fleuve, le monarque français, sur son cheval fougueux, la suivit en aval en l’accompagnant sur la rive. Il s’arrêta pour contempler calmement son épouse, lui faisant à son passage un salut majestueux, auquel Philippe IV répondit avec son chapeau… et Marie-Thérèse se mettant debout et lui faisant une gracieuse révérence.
Toutes ces cérémonies amenèrent un invité d’exception à Fontarabie, le peintre génial Diego Velázquez, qui était le grand maître des appartements (« Aposentador Mayor ») du roi. Parcimonieux, consciencieux et loyal, Velázquez était l’un des hommes de confiance de Philippe IV et veillait à ce que tout soit conforme à la dignité et au faste que l’occasion exigeait : voitures, rideaux, tapis, décorations, etc. Rien ne pouvait aller de travers lors d’un événement aussi important. Le voyage aura des conséquences fatales pour lui. Le travail et les 72 longues journées sur la route épuisèrent le peintre. À son retour à Madrid, il tomba malade et mourut quelques jours plus tard. Il avait 61 ans. Son épouse l’accompagna à la tombe sept jours plus tard.
DÉCLIN
Le siège de 1638, et son corolaire, la Paix des Pyrénées, marquèrent l’apogée de Fontarabie, mais aussi le début de sa décadence. Dès lors, l’histoire de la ville fut un déclin lent et prolongé.
L’enceinte intra-muros, qui comptait environ 2 000 âmes, allait peu à peu perdre des habitants. L’importance militaire de la place allait céder du terrain au bénéfice de Saint-Sébastien et d’Irun. Bien qu’elle allait subir encore deux autres sièges au cours du XVIIIe siècle, elle commença à être considérée comme une place mineure.
Irun appartenait encore à la juridiction de Fontarabie, tout comme Pasaia et Lezo. Elles demandèrent la séparation au début du XVIIe siècle, comme le firent de nombreuses communes qui obtinrent alors le titre de ville. Mais Fontarabie s’opposa énergiquement à leur indépendance, car le monopole commercial que cela supposait représentait sa dernière possibilité de s’en sortir. Une fois de plus la Couronne lui apporta son soutien, en refusant de nuire à une place toujours fidèle et vaillante.
Irun insista dans sa recherche de séparation, jusqu’à ce qu’elle y parvienne en 1766, mettant ainsi fin à plusieurs siècles de litiges et d’affrontements continus. À cette époque, Irun avait déjà davantage d’habitants que Fontarabie et était une place militaire plus importante. Le sort de l’ancienne ville était jeté.
Le coup de grâce fut porté en 1794, lorsque les révolutionnaires français entrèrent dans la ville à la suite d’un siège de sept jours. L’un de leurs premiers objectifs fut l’église de Santa María, dont ils vêtirent les saints d’un uniforme et placèrent sur les murailles comme s’ils défendaient la place mal en point. Par la suite, ils parcoururent la ville, la mettant à sac et la dévastant ; ils causèrent de grands dégâts dans le château et firent sauter la moitié des murailles.
Cela supposa la fin de la place militaire. La ville avait subi neuf sièges au cours de son histoire et celui-ci était le dernier. Les généraux qui la visitèrent pour évaluer les dégâts ne firent que certifier sa mort : la place forte avait cessé d’exister.
À cette occasion, la ville était tombée avec une facilité déconcertante et la question s’était posée de savoir si elle s’était battue assez courageusement. Une enquête militaire fut ouverte et sa conclusion en fut que la ville avait rempli ses obligations et elle pouvait conserver les timbres gagnés en 1638 : « ville très noble, très loyale et très vaillante. » Pour dissiper tout doute, le roi lui accorda cinq années plus tard le titre de « toujours très fidèle », comme elle l’avait demandé à plusieurs reprises.
La ville affrontait le XIXe siècle soumise à une profonde crise : parsemée de ruines et sans autres perspectives économiques que la pêche et sa modeste agriculture. Mais à la fin du siècle, le tourisme commença à faire son apparition comme une nouvelle et prometteuse source de richesses. Le nombre croissant d’estivants l’aida à se développer et à se redéfinir comme ville, jusqu’à devenir une place touristique de premier ordre.
ACTUALITÉ
Actuellement, Fontarabie ou Hondarribia en basque (seul nom officiel de la ville depuis 1980) compte 16 500 habitants et jusqu’à 40 000 en été. Sa population était traditionnellement divisée en trois groupes, aux caractéristiques et à la personnalité propres : les kaletarras qui vivent dans l’enceinte fortifiée, les portuarras du quartier marin, et les baserritarras qui vivent dans des fermes disséminées sur les versants du Jaizkibel. Nombreux sont ceux qui vivent aujourd’hui dans des lotissements modernes et c’est pourquoi ces différences ont peu à peu disparu et il ne reste plus rien de cette rivalité mythique qui dura jusqu’aux années 80.
En ce qui concerne son économie, la note la plus marquante est l’absence totale d’industrie. Fontarabie voulait expressément éviter de souffrir du développement industriel et c’est aujourd’hui une ville dortoir, où la plupart de ses habitants travaillent à l’extérieur.
L’agriculture des baserritarras en tant que mode de vie a presque disparu ; sur la commune, il reste encore plus de 250 fermes, mais elles ne possèdent que de petits potagers pour l’autoconsommation et pour des restaurants et des magasins locaux.
Fontarabie continue, néanmoins, d’être une importante enclave de pêche : son port de pêche, consacré à la pêche côtière, est le principal de Guipuscoa, avec celui de Getaria. Mais il s’agit également d’une activité en déclin et suppose à peine 5 % de son économie.
La plus grande partie de l’économie locale se consacre au secteur des services et notamment au tourisme.
Outre son extraordinaire patrimoine monumental, son quartier de pêcheurs et sa plage, Fontarabie possède un merveilleux environnement naturel, tant vers la côte que vers la montagne. Un autre de ses attraits est la grande variété d’activités populaires qui sont organisées toute l’année. Et bien sûr, ses célèbres fêtes : l’alarde, la kutxa, San Pedro, la Semaine sainte, etc. où la ville devient une fourmilière.

Les murailles du centre historique de Fontarabie de nos jours